Prologue : Ren

Demain ce sera l'équinoxe d'automne et j'aurai vingt-cinq ans. Mère. Shinda, Shira. Kai. Je vais avoir vingt-cinq ans et aucune de vous n'est présente pour le voir. Est-ce que vous seriez fières de moi ? Kai, toi, tu le serais, oui. Rien que parce que j'ai survécu. Shinda, Shira, mère, et vous ? J'ai plus de doutes de ce côté là, mais puisque je n'aurai jamais la réponse... Peut-être, tout de même. Je n'ai plus avec moi que vos souvenirs en héritage, et ces détails du quotidien qui m'évoquent les jours d'autrefois. Le bleu du lac. Le brun des arbres, le gris des nuages. Et le blanc de mes propres cheveux.

Je ne devrais pas m'appesantir sur ce genre de choses, ce n'est pas le moment et ça ne fait pas de bien. Je n'ai pas encore terminé de réparer cette chaise, le soir tombe, Lilas ne va plus tarder et Alcyone...

Ah, tiens, où est-il, d'ailleurs, Alcyone ?

D'habitude à cette heure-ci il joue avec Maryweather et je n'entends rien. Et avec sa vie toujours réglée comme du papier à musique à force de vivre dans des atmosphères militaires, ça sent le problème gros comme un immeuble orcadien, ça. Bon. Je laisse tomber la chaise et j'y vais. Je doute que qui que ce soit ici m'en veuille, surtout que ce n'est pas moi qui suis responsable de l'usure de cet arbre-maison. 

Comme toujours, il ne m'a pas entendu ouvrir la porte et approcher. J'espérais que ce ne serait rien de grave mais l'expression catastrophée de son visage, version « Le monde va s'écrouler dans la minute » signifie qu'il s'agit de Maryweather, et donc qu'il est en train de s'inquiéter comme le père qu'il n'est pas, du moins pas physiquement. Je vais éviter de le surprendre dans ce genre de moments, il a de beaucoup trop bons réflexes pour moi. Alors mieux vaut y aller en douceur.

− Alcyone ! Quelque chose ne va pas ?